L'Orient le jour - Le tribunal est-il un bouclier contre le complot criminel ?, 16 octobre 2007
L'article de Émile KHOURY
L’accélération des mesures visant au lancement effectif du tribunal international est pour le moins bienvenue et opportune ? À un moment où le Liban, placé devant un tournant politique crucial, reste la cible du même vieux complot de déstabilisation par le crime. Car l’entrée en jeu d’une instance suprême saisie de cette série noire d’attentats et d’assassinats peut y mettre un terme. En dissuadant les commanditaires, exposés à des dénonciations et des poursuites immédiates. Il reste cependant à savoir si, sur un plan global, cet élément est suffisant en soi pour porter le régime syrien à changer de comportement à l’égard du Liban. En attendant les résultats des enquêtes et des délibérations de cour visant à identifier les parties coupables. Alors que les accusations de nature politique, adressées à tel ou tel État, continuent à pleuvoir.Le rôle protecteur du tribunal, Condoleezza Rice, secrétaire d’État US, a tenu à le mettre en exergue dans un article confié, le 8 mai dernier, au Nahar. Le titre en dit déjà beaucoup : Un tribunal en faveur du Liban : il est temps d’abolir l’immunité du crime. Rice écrit ensuite : « Les forces syriennes ont quitté le territoire libanais. Mais le souhait de trouver les responsables des crimes et de les traduire en justice n’est toujours pas exaucé. Le peuple libanais mérite de connaître la vérité de ces crimes abominables. C’est bien la raison pour laquelle l’on appelle à la mise en place d’un tribunal à caractère international au profit des Libanais. Cependant au Liban même, comme ailleurs, il en est qui veulent priver le peuple libanais de son droit à la justice. Les ennemis de la vérité recourent à des ruses, à des méthodes d’intimidation pour empêcher la création de ce tribunal. » Et de souligner avec vigueur que « ceux qui craignent la “politisation” du tribunal l’ont eux-mêmes politisé en liant sa création à leur exigence de formation d’un nouveau gouvernement ».ScepticismeCependant, beaucoup mettent en doute la valeur protectrice du tribunal face au cycle criminel, comme face aux immixtions syriennes dans les affaires intérieures libanaises. À leur avis, rien ne peut s’opposer au cours pris par les choses tant que le conflit se poursuit, et s’exacerbe, entre l’axe syro-iranien et l’axe mené par les États-Unis. Ils soulignent qu’avant même que le tribunal ne commence à fonctionner, l’axe syro-iranien pourrait bien atteindre un premier objectif important sur la scène libanaise. Par l’avènement d’un président de la République, qui lui serait favorable ou, à tout le moins, admissible à ses yeux. Si cela ne se fait pas, le vide institutionnel qui s’en suivrait serait également à l’avantage du tandem cité. Surtout que, plongé dans l’inconnu sinon dans le chaos, le Liban officiel serait dans l’incapacité de dynamiser le tribunal et de lui permettre de fonctionner à plein, car il ne pourrait assurer sa part, tout à fait majeure, de financement. Sans compter qu’il se trouverait en butte à des pressions d’entrave et de retardement concernant la liste des juges libanais. Le tout étant alors, pour l’axe syro-iranien, de jouer sur un changement aux États-Unis, les démocrates semblant en mesure de succéder aux républicains. Damas et Téhéran espérant qu’après le départ de l’équipe Bush, les Américains accepteraient de négocier avec eux un marché quelconque. Aux termes duquel il pourrait y avoir une drôle de « normalisation » des relations libano-syriennes. Dans ce sens que même si la tutelle ne devait pas être rétablie, la Syrie cesserait d’être pointée du doigt dans les crimes et n’aurait plus à craindre les verdicts de la cour internationale.BoueizL’ancien ministre des Affaires étrangères Farès Boueiz pense ainsi, en substance, que « le tableau de bord politique international réquisitionne en quelque sorte le tribunal international, dont les verdicts ne seraient rendus qu’après bien longtemps ». Pour lui, « il n’est pas de stabilité au Liban à travers l’hostilité manifestée (par certaines parties) à la Syrie. Le prochain président doit dès lors œuvrer pour apurer les relations entre les deux pays ».Juriste, il prend soin d’ajouter que « lorsque le crime frappe plus d’une personne, sa nature politique est mise en évidence. Elle se trouve forcément liée à la situation politique d’ensemble. Le problème est donc de savoir comment le tribunal à caractère international peut lancer une accusation contre un État faisant partie intégrante du système régional, qu’il n’est pas question de renverser. Là, le corps de justice se heurte à ce que l’on appelle dans la science du droit l’ordre général ou la discipline du même nom. La justice recourt alors ordinairement à un précepte de sagesse qui veut que l’on ne porte atteinte ni à l’ordre général ni à l’intérêt supérieur de l’État. Autrement dit, à la raison d’État ».En termes pratiques, Boueiz en déduit qu’aucune puissance n’irait jusqu’à impliquer définitivement un régime déterminé dans les crimes. Il en veut pour indice que jusqu’à présent, les enquêtes sur l’assassinat du président Hariri n’ont porté de charges franches contre personne.Autre son de clocheD’autres sources estiment, par contre, que la Syrie se trouve en confrontation, au sujet du tribunal, avec la communauté internationale et non seulement avec le Liban. De ce fait, quand elle continue à utiliser la scène libanaise pour contrer le tribunal, elle ne peut obtenir que des contre-effets. Au lieu de retarder la mise en place effective de l’instance, elle ne fait que l’accélérer, comme on le voit bien ces jours-ci.La cour, ajoutent ces sources, va donc être bien présente le jour où la commission d’enquête Brammertz remettra son rapport définitif. Document que des députés loyalistes prédisent comme devant comporter des éléments essentiels tout à fait inédits. En prélude à la publication d’un acte d’accusation accablant. Dont la teneur serait importante au point d’imposer l’arrêt des immixtions dans les affaires intérieures libanaises. Et, à plus forte raison, l’arrêt du cycle d’assassinats et d’attentats.Toujours selon les défenseurs de cette thèse, l’acte d’accusation en question provoquerait sans doute de notables développements au Liban, mais aussi en Syrie même. Ce qui faciliterait probablement la tâche du prochain régime libanais en termes de stabilisation politique et de redressement économique.Ces pôles trouvent dans les perspectives de dégagement évoquées une explication solide du jeu que la Syrie mène quant à la présidentielle libanaise. Le but étant pour Damas de continuer à tenter de contrer le tribunal. En obtenant un président libanais qui ne se soucierait pas des questions relatives au procès ou qui manquerait d’informations techniques autant que d’expérience en la matière, comme l’indique le ministre de la Justice Charles Rizk. Par contre, s’il devait y avoir un président, épaulé par un gouvernement cohérent, préoccupé de la question, le tribunal représenterait en quelque sorte une feuille de route. Un programme positif, dans la mesure où le tribunal serait utilisé à l’avantage de l’État libanais en évitant les écueils de la politisation. Pour qu’il apparaisse clairement que le tribunal est dans l’intérêt bien compris de tous les Libanais.
L’accélération des mesures visant au lancement effectif du tribunal international est pour le moins bienvenue et opportune ? À un moment où le Liban, placé devant un tournant politique crucial, reste la cible du même vieux complot de déstabilisation par le crime. Car l’entrée en jeu d’une instance suprême saisie de cette série noire d’attentats et d’assassinats peut y mettre un terme. En dissuadant les commanditaires, exposés à des dénonciations et des poursuites immédiates. Il reste cependant à savoir si, sur un plan global, cet élément est suffisant en soi pour porter le régime syrien à changer de comportement à l’égard du Liban. En attendant les résultats des enquêtes et des délibérations de cour visant à identifier les parties coupables. Alors que les accusations de nature politique, adressées à tel ou tel État, continuent à pleuvoir.Le rôle protecteur du tribunal, Condoleezza Rice, secrétaire d’État US, a tenu à le mettre en exergue dans un article confié, le 8 mai dernier, au Nahar. Le titre en dit déjà beaucoup : Un tribunal en faveur du Liban : il est temps d’abolir l’immunité du crime. Rice écrit ensuite : « Les forces syriennes ont quitté le territoire libanais. Mais le souhait de trouver les responsables des crimes et de les traduire en justice n’est toujours pas exaucé. Le peuple libanais mérite de connaître la vérité de ces crimes abominables. C’est bien la raison pour laquelle l’on appelle à la mise en place d’un tribunal à caractère international au profit des Libanais. Cependant au Liban même, comme ailleurs, il en est qui veulent priver le peuple libanais de son droit à la justice. Les ennemis de la vérité recourent à des ruses, à des méthodes d’intimidation pour empêcher la création de ce tribunal. » Et de souligner avec vigueur que « ceux qui craignent la “politisation” du tribunal l’ont eux-mêmes politisé en liant sa création à leur exigence de formation d’un nouveau gouvernement ».ScepticismeCependant, beaucoup mettent en doute la valeur protectrice du tribunal face au cycle criminel, comme face aux immixtions syriennes dans les affaires intérieures libanaises. À leur avis, rien ne peut s’opposer au cours pris par les choses tant que le conflit se poursuit, et s’exacerbe, entre l’axe syro-iranien et l’axe mené par les États-Unis. Ils soulignent qu’avant même que le tribunal ne commence à fonctionner, l’axe syro-iranien pourrait bien atteindre un premier objectif important sur la scène libanaise. Par l’avènement d’un président de la République, qui lui serait favorable ou, à tout le moins, admissible à ses yeux. Si cela ne se fait pas, le vide institutionnel qui s’en suivrait serait également à l’avantage du tandem cité. Surtout que, plongé dans l’inconnu sinon dans le chaos, le Liban officiel serait dans l’incapacité de dynamiser le tribunal et de lui permettre de fonctionner à plein, car il ne pourrait assurer sa part, tout à fait majeure, de financement. Sans compter qu’il se trouverait en butte à des pressions d’entrave et de retardement concernant la liste des juges libanais. Le tout étant alors, pour l’axe syro-iranien, de jouer sur un changement aux États-Unis, les démocrates semblant en mesure de succéder aux républicains. Damas et Téhéran espérant qu’après le départ de l’équipe Bush, les Américains accepteraient de négocier avec eux un marché quelconque. Aux termes duquel il pourrait y avoir une drôle de « normalisation » des relations libano-syriennes. Dans ce sens que même si la tutelle ne devait pas être rétablie, la Syrie cesserait d’être pointée du doigt dans les crimes et n’aurait plus à craindre les verdicts de la cour internationale.BoueizL’ancien ministre des Affaires étrangères Farès Boueiz pense ainsi, en substance, que « le tableau de bord politique international réquisitionne en quelque sorte le tribunal international, dont les verdicts ne seraient rendus qu’après bien longtemps ». Pour lui, « il n’est pas de stabilité au Liban à travers l’hostilité manifestée (par certaines parties) à la Syrie. Le prochain président doit dès lors œuvrer pour apurer les relations entre les deux pays ».Juriste, il prend soin d’ajouter que « lorsque le crime frappe plus d’une personne, sa nature politique est mise en évidence. Elle se trouve forcément liée à la situation politique d’ensemble. Le problème est donc de savoir comment le tribunal à caractère international peut lancer une accusation contre un État faisant partie intégrante du système régional, qu’il n’est pas question de renverser. Là, le corps de justice se heurte à ce que l’on appelle dans la science du droit l’ordre général ou la discipline du même nom. La justice recourt alors ordinairement à un précepte de sagesse qui veut que l’on ne porte atteinte ni à l’ordre général ni à l’intérêt supérieur de l’État. Autrement dit, à la raison d’État ».En termes pratiques, Boueiz en déduit qu’aucune puissance n’irait jusqu’à impliquer définitivement un régime déterminé dans les crimes. Il en veut pour indice que jusqu’à présent, les enquêtes sur l’assassinat du président Hariri n’ont porté de charges franches contre personne.Autre son de clocheD’autres sources estiment, par contre, que la Syrie se trouve en confrontation, au sujet du tribunal, avec la communauté internationale et non seulement avec le Liban. De ce fait, quand elle continue à utiliser la scène libanaise pour contrer le tribunal, elle ne peut obtenir que des contre-effets. Au lieu de retarder la mise en place effective de l’instance, elle ne fait que l’accélérer, comme on le voit bien ces jours-ci.La cour, ajoutent ces sources, va donc être bien présente le jour où la commission d’enquête Brammertz remettra son rapport définitif. Document que des députés loyalistes prédisent comme devant comporter des éléments essentiels tout à fait inédits. En prélude à la publication d’un acte d’accusation accablant. Dont la teneur serait importante au point d’imposer l’arrêt des immixtions dans les affaires intérieures libanaises. Et, à plus forte raison, l’arrêt du cycle d’assassinats et d’attentats.Toujours selon les défenseurs de cette thèse, l’acte d’accusation en question provoquerait sans doute de notables développements au Liban, mais aussi en Syrie même. Ce qui faciliterait probablement la tâche du prochain régime libanais en termes de stabilisation politique et de redressement économique.Ces pôles trouvent dans les perspectives de dégagement évoquées une explication solide du jeu que la Syrie mène quant à la présidentielle libanaise. Le but étant pour Damas de continuer à tenter de contrer le tribunal. En obtenant un président libanais qui ne se soucierait pas des questions relatives au procès ou qui manquerait d’informations techniques autant que d’expérience en la matière, comme l’indique le ministre de la Justice Charles Rizk. Par contre, s’il devait y avoir un président, épaulé par un gouvernement cohérent, préoccupé de la question, le tribunal représenterait en quelque sorte une feuille de route. Un programme positif, dans la mesure où le tribunal serait utilisé à l’avantage de l’État libanais en évitant les écueils de la politisation. Pour qu’il apparaisse clairement que le tribunal est dans l’intérêt bien compris de tous les Libanais.
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