L'Orient le jour - À l’aube de la justice, 5 Juin 2007.
L'éditorial de Issa GORAIEB
C’est fait. Mercredi était dûment enregistré, au Palais de Verre de l’ONU, l’acte de naissance du tribunal international pour le Liban. Cela, aucune force au monde n’y pourra plus jamais rien. Et quoi qu’en caquettent les oiseaux de malheur c’est tant mieux, quelque dures que soient les épreuves qui l’attendent sans doute encore, c’est tant mieux, mille fois tant mieux, pour notre pays.Des mois s’écouleront, c’est vrai, avant que ce tribunal prenne seulement forme, qu’en soient désignés les juges et procureurs, que lui soit assigné un siège dans quelque capitale étrangère. Et beaucoup de choses peuvent se passer en quelques mois. Cette zone de fortes turbulences, la Syrie nous en avait fait la singulière promesse avant même que fut adoptée la résolution 1757. Des pays membres du Conseil de sécurité ont également fait part de leurs appréhensions, ont formulé des réserves, ont même préféré s’abstenir lors du vote de ce texte. Il reste que seule la Syrie est viscéralement hostile à l’idée même d’un tribunal international. S’enferrant dans sa fuite éperdue en avant, s’obstinant à se parer, comme à plaisir, de l’habit du premier suspect, elle est absolument seule à se démener ouvertement afin que s’accomplissent ses sombres prophéties.Ce que Damas ne sait toujours pas pourtant, ce qu’il ne veut pas savoir, c’est à quel point la règle du jeu vient tout juste de changer. Non concernée, vraiment, la Syrie, par ce tribunal, au point qu’elle a aussitôt exclu toute coopération avec celui-ci ? On ferait bien, dans les officines baassistes, de revoir ses manuels de droit international.Chiffon de papier, disait déjà Damas de la résolution 1559 qui préludait bel et bien, pourtant, au retrait de ses troupes du Liban. Adoptée sous le chapitre VII des Nations unies, la 1757 est légalement contraignante pour tous les États. Elle n’implique pas nécessairement, c’est vrai, le recours à la force militaire contre les contrevenants, et on imagine mal quelque expédition planétaire visant à traîner devant les juges des Syriens dont la responsabilité aurait été retenue dans l’assassinat de Rafic Hariri. Il n’y a pas cependant que la méthode Kosovo ou, alors, rien. En cas de refus persistant, la Syrie s’exposerait en effet à de sévères sanctions internationales ; déjà isolée, elle risquerait d’être réduite alors à la condition d’État-paria.Une fois de plus, la route du tribunal n’est sans doute pas pavée de pétales de rose. Mais s’il est un commencement à la dissuasion, à la paix, c’est là – et là seulement – qu’il se trouve. Que l’on songe un instant à l’enfer qui attendait ce pays si, par malheur, le monde avait baissé les bras au spectacle des Libanais incapables de se mettre d’accord sur cette question pourtant vitale. Si on nous avait laissé mariner plus longtemps dans le saumâtre jus de nos querelles, que viennent régulièrement touiller des mains trop connues. Si le tribunal s’était évaporé dans les limbes des bonnes intentions internationales, sans cesse interpellées par de nouvelles crises. Si l’impunité pour les assassins avait gagné la guerre d’usure. Si grisés par cette impunité qui leur était concédée par défaut, les ennemis du Liban n’avaient eu rien de plus pressé que de redoubler en toute quiétude de criminelle ardeur...Plus près de nous, d’aucuns feraient bien eux aussi de réviser leur langage politique, maintenant que l’ONU a tranché. Persister à nier ce qui est désormais réalité, entonner l’air de Damas, annoncer aux Libanais le désastre à venir, c’est objectivement pousser à la roue du désastre. Répondre par des conditions aux offres de dialogue sans préalable avancées par la majorité, c’est se refuser au dialogue, c’est perpétuer sciemment les tensions. Et crier à cette soudaine internationalisation de la crise dans un pays notoirement en butte depuis des décennies aux plus maléfiques ingérences étrangères, se lamenter sur l’issue onusienne alors qu’on a cavalièrement interdit soi-même tout débat parlementaire sur la question, c’est se moquer du monde. L’aurore pointe. Et il serait temps que se réveille, un peu partout, le devoir de responsabilité.
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