L'Orient le jour - Tarek Mitri à « L’Orient-Le Jour » : « Le moment est propice à la réinvention de notre entente nationale », 1 Juin 2007.
NEW YORK, de notre correspondante aux Nations unies, Sylviane ZEHIL
Mission accomplie pour Tarek Mitri. Arrivé à New York, la semaine dernière, à la tête d’une importante délégation libanaise d’experts politiques et juridiques pour participer aux discussions sur la mise en place du « tribunal spécial pour le Liban », le ministre des AE p.i. et la délégation ont eu pour mission d’expliquer aux différents représentants des pays membres du Conseil de sécurité la portée politique et juridique du tribunal. L’impasse institutionnelle, successivement confirmée par le gouvernement libanais, Ban Ki-moon et Nicolas Michel, a poussé le Conseil de sécurité à prendre ses responsabilités pour mettre fin à l’impunité. Mais toutes les voix n’étaient pas concordantes au sein du Conseil. « Les objections à la résolution étaient de deux natures, explique Tarek Mitri. La première était fondée sur les craintes de retombées sécuritaires », dit-il. Les discussions ont eu pour effet de convaincre certains membres réticents « à redoubler d’efforts pour protéger la sécurité du Liban ». La deuxième objection était, elle, d’ordre légal. « Les pays qui se sont abstenus (Russie, Chine, Qatar, Indonésie et Afrique du Sud) étaient d’accord pour que le Conseil de sécurité adopte une résolution qui soit obligatoire. Selon l’avis des juristes de certains pays, il était possible de rendre la résolution obligatoire. Ces juristes ont cité, dans ce cadre, l’article 25 de la Charte des Nations unies », qui stipule que « les membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte », note M. Mitri. « Mais cet avis n’était pas partagé par les parrains de la résolution (États-Unis, Royaume-Uni, France, Belgique, Italie, Slovaquie), qui trouvaient l’avis « insuffisant » pour rendre la décision obligatoire. « Il n’y a en effet aucun précédent où l’article 25 a été considéré comme légitimement une résolution obligatoire », précise le ministre des AE, soulignant qu’il s’agit là d’une « controverse qu’il faut respecter ». C’est ce qu’il a d’ailleurs dit dans son discours devant le Conseil, en « remerciant ceux qui ont voté en faveur de la résolution et aussi ceux qui se sont abstenus ». « En s’abstenant, ils ne se sont pas opposés à la constitution du tribunal, mais ont exprimé leur crainte de voir un Liban déstabilisé. Bien au contraire, leur crainte est l’autre face de leur engagement à défendre la stabilité du Liban », souligne Tarek Mitri.Réticences de la RussieLe représentant de la Russie, Vitaly Churkin, qui prônait le recours à l’expression « mettre en œuvre l’accord » au lieu « d’entrer en vigueur », a estimé que le fondement juridique de la résolution était « douteux », regrettant la référence au Chapitre VII du fait que les crimes visés ne sont pas des « crimes internationaux ». Pour Tarek Mitri, « les Russes ont toujours émis des réserves face aux résolutions qui invoquent le Chapitre VII. C’est une position assez conséquente qui n’est pas spécifique au Liban et au tribunal. Ils l’ont exprimé lorsque le Liban négociait la résolution 1701 et s’étaient opposés d’emblée au recours au Chapitre VII, a expliqué Tarek Mitri. Les Russes ont réussi à modifier les statuts du tribunal, tels qu’ils ont été adoptés en novembre dernier, pour supprimer la référence aux “crimes contre l’humanité”. Ce tribunal ne jugera pas les crimes contre l’humanité, mais les crimes terroristes et les assassinats politiques. Selon les Russes, une fois cette référence supprimée des statuts, rien n’exigeait que le Conseil de sécurité ait recours au Chapitre VII. Leurs objections étaient tout à fait légitimes si les Libanais avaient réussi à ratifier l’accord avec l’ONU selon les normes de notre Constitution. C’est le blocage du Parlement qui a acculé la majorité et le gouvernement à s’adresser au Conseil de sécurité pour qu’il prenne une décision obligatoire. En quelque sorte, le Conseil de sécurité s’est retrouvé dans une situation inédite. Et comme dans toute situation analogue, il y a matière à discuter sur le plan légal », a-t-il encore indiqué. Minimisant la force du Chapitre VII dans la résolution 1757, Tarek Mitri laisse entendre qu’elle n’est là que « comme instrument de légitimation du caractère obligatoire de la constitution du tribunal », dans la mesure où elle n’implique ni sanctions, ni mesures économiques, ni usage de la force contre le Liban. Prochaines étapes pour le LibanLa résolution 1757 établie, quelles seront les prochaines étapes ? « Malheureusement pour le Liban et les Libanais, le tribunal a été imbriqué, d’une manière artificielle, dans le conflit politique interne. Il y avait un consensus national au sujet de sa création, mais il n’a pas survécu aux dissensions politiques », déclare M. Mitri. Pour lui, avec cette résolution, le Conseil de sécurité a assumé ses responsabilités, et il incombe désormais aux Libanais de revenir à l’esprit du consensus antérieur. En ce sens, souligne-t-il, la création du tribunal pourrait constituer une nouvelle chance de retrouvailles. « D’aucuns pensent que le moment est plus propice aujourd’hui à la réinvention de notre entente nationale qu’il ne l’était il y a une semaine », dit-il.Concernant enfin le calendrier, « il est difficile de donner des indications précises ». « Cela risque de prendre peut-être un an », précise-t-il. Il est aussi difficile « d’établir des priorités », à savoir entre la question de savoir où siégera le tribunal, celle du financement, ou encore celle de la nomination des juges. « Ces trois questions vont de pair. Il faut déjà commencer à proposer les noms des magistrats, à négocier avec un pays tiers choisi pour le siège et à travailler sur la question du financement. Les pourparlers pour le choix du siège, du financement, des juges relèvent du secrétaire général en consultation avec le Liban. L’ONU va constituer un panel qui choisira les juges internationaux et les juges libanais parmi une liste qui lui serait soumise par les autorités libanaises. L’initiative est donc du côté du secrétaire général, de concert avec les Libanais », conclut Tarek Mitri.
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