Le troisième chef de la commission d'enquête des Nations unies sur l'assassinat de Rafic Hariri a rendu ses premières conclusions au Conseil de sécurité de l'Onu, le 28 mars. Pas de révélations détonantes, pas de noms de suspects dans le dixième rapport de la commission, mais l'assurance que les preuves collectées serviront pour le procès du tribunal Hariri.
Un réseau criminel a organisé et perpétré l'assassinat de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri. La «révélation» du nouveau rapport de la commission internationale d'enquête semble d'emblée une lapalissade. Dès le départ de l'investigation, en octobre 2005, les rapports parlent, en effet, de meurtre impliquant plusieurs personnes. A priori donc, rien de nouveau sous le soleil. «La commission peut maintenant confirmer qu'un réseau d'individus a agi de concert pour perpétrer l'assassinat de Rafic Hariri et que ce réseau criminel, le réseau Hariri, ou certains de ses membres, est lié à d'autres affaires couvertes par le mandat de la commission», indique le nouveau chef des inspecteurs, le Canadien Daniel Bellemare, en poste depuis le 1er janvier 2008. Mais certains commentateurs spéculent sur le choix du vocable utilisé par Daniel Bellemare. L'expression ne serait pas si anodine et pourrait sous-entendre que c'est une association d'individus qui a pensé et exécuté le crime, et non un Etat, alors que la majorité au pouvoir a toujours pointé la responsabilité de la Syrie dans l'attentat du 14 février 2005. Il est, d'ailleurs, important de rappeler que le procureur général ne pourra pas accuser des Etats, mais des individus lors du procès.En outre, le rapport signale que la Syrie, accusée de ne pas coopérer avec l'enquête internationale à son démarrage, a coopéré «d'une manière généralement satisfaisante». «Depuis le dernier rapport, la commission a présenté à la Syrie 8 requêtes. La Syrie continue de répondre à ces requêtes dans les délais requis. Les autorités syriennes ont facilité, durant cette période, une mission en Syrie», mentionne Daniel Bellemare. Mais il est aussi à noter que le 10e rapport de la commission d'enquête a été remis 24 heures à peine avant le sommet arabe, dont le pays hôte n'était autre que la Syrie! Le 1er avril, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, a affirmé que son pays a rejeté un marché consistant à limiter les activités du tribunal en échange de la contribution de Damas à la présidentielle au Liban. «On nous dit: apportez un concours à l'élection du président libanais et nous limiterons le travail du tribunal», a déclaré le chef de la diplomatie syrienne, dans une interview à l'ANB. Il n'a pas mentionné l'origine de ce pacte, mais a assuré qu'il s'agissait de mesures comme le gel des activités et du financement du tribunal pour un an.
Un réseau toujours opérationnel
Daniel Bellemare confirme l'hypothèse de son prédécesseur: il existe «des liens opérationnels entre certains exécutants des différents crimes faisant l'objet des investigations». Des preuves ont été rassemblées, montrant que ce «réseau Hariri existait avant l'assassinat de Rafic Hariri; il a surveillé l'ancien Premier ministre avant son assassinat, il était opérationnel le jour de l'attentat et détail d'importance au moins une partie du réseau Hariri a continué d'exister et d'opérer après l'assassinat». Les meurtriers de Rafic Hariri sont donc aussi derrière une partie des attentats qui ont ensanglanté le Liban depuis le 14 février 2005. Pour la commission, l'objectif reste le même: collecter davantage de preuves sur ce réseau, ses motivations, son identité, ses liens avec «d'autres personnes en dehors du réseau» et son rôle dans les autres attentats.
Le secret de l'enquête assumé
Le procureur canadien n'évoque aucun mobile dans ce rapport, contrairement à Serge Brammertz qui mettait en lumière des motivations politiques. Mais en soulignant les liens entre les organisateurs et/ou exécutants de la vague d'attentats commis au Liban depuis le 14 février 2005, le rapport indique l'existence d'un complot, pas seulement d'un règlement de compte contre feu Rafic Hariri, et donc le caractère politique de ces crimes. Qui fait partie de ce dénommé réseau Hariri? Pas moyen de le savoir. Et pour son premier rapport, le procureur canadien l'annonce sans ambages: les noms des suspects seront gardés secrets. Il n'y a, d'ailleurs, strictement aucun nom dans ce rapport. «Les noms des individus n'apparaîtront que dans de futurs actes d'inculpation qui seront rédigés par le procureur, quand des preuves suffisantes auront été rassemblées».Malgré les critiques récentes du juge allemand Detlev Mehlis, répétant dans les médias que «le public a le droit de savoir où en est l'enquête» et que «la commission se doit de transmettre ses conclusions, sans pour autant mettre l'enquête en péril», Daniel Bellemare se veut le digne héritier de Serge Brammertz: un chantre de la discrétion et de la confidentialité! «Les conclusions de l'enquête ne peuvent pas être basées sur des rumeurs ou des supputations, mais uniquement sur des faits crédibles», souligne celui qui assumera aussi la casquette de procureur du tribunal Hariri. Les préparatifs pour transférer le dossier au procureur du tribunal spécial se poursuivent. Et Daniel Bellemare en assurera la coordination en devenant procureur. La nécessité de confidentialité est réitérée tout au long de son premier rapport. Et Daniel Bellemare l'assume pleinement: «Les investigations d'une telle complexité ne peuvent pas se faire de manière précipitée. L'absence de résultats rapides peut être frustrante pour les familles des défunts, pour les survivants, pour la population libanaise, pour la communauté internationale et pour la commission elle-même, mais les enquêtes menées sur des crimes similaires ont prouvé qu'avec suffisamment de temps et de ressources, les auteurs des crimes peuvent être traduits en justice». L'enquête n'est pas prête d'être achevée. Daniel Bellemare le dit en substance et prône la patience. L'enquête durera le temps qu'il faudra pour apporter les preuves devant le tribunal. En attendant, la mise en place du tribunal spécial progresse. Selon l'Onu, il dispose déjà des fonds nécessaires à son financement initial, et des juges ont été sélectionnés (Voir encadré).Deux nouveaux meurtres se sont ajoutés au travail d'investigation depuis le dernier rapport du 28 novembre 2007: les attentats contre le général François el-Hage en décembre et contre le commandant Wissam Eid en janvier. Dans le premier attentat, «les experts travaillant pour le compte de la commission ont mené, pendant une semaine, un examen médico-légal de la scène du crime, en coopération avec les autorités libanaises. Au total, 112 indices matériels ont été découverts; ils sont analysés dans un laboratoire international». Lors de l'attentat contre Wissam Eid, 136 indices matériels ont été recueillis et sont également examinés dans un laboratoire international. «Bien que l'enquête soit à ses débuts, la commission a été en mesure d'isoler des indices d'ADN. Le type d'explosifs utilisé dans cet attentat s'est avéré être du TNT et du RDX».
21 enquêtes à résoudre
La commission fournit ainsi une assistance technique aux autorités libanaises dans les enquêtes sur 20 autres attentats qui ont fait 61 morts et au moins 494 blessés. Et pour Daniel Bellemare, cette multiplication d'enquêtes est un réel défi pour la commission. «Des tâches supplémentaires ont été ajoutées à la mission initiale de la commission sans que les moyens soient accrus en conséquence. Six nouveaux cas ont été ajoutés à la mission de la commission depuis novembre 2006». Or, indique-t-il, «le nombre d'enquêteurs et d'analystes est bien en deçà du niveau requis». Le responsable des investigations fait également remarquer que la détérioration des conditions de sécurité au Liban peut avoir un impact sur le travail de la commission, sans pour autant affecter sa détermination: «Les attentats répétés contre les responsables officiels libanais et contre les membres du personnel diplomatique, sans compter les accrochages sporadiques entre les factions rivales et la tension dans les camps palestiniens, ont influé sur la liberté de mouvement du personnel de la commission».Le procureur canadien est du genre discret. Son rapport semble bien maigre: 9 pages à peine, alors que les précédents en comptaient une vingtaine. Il est vrai qu'il n'a eu que trois mois pour mettre au point ce nouveau rapport d'étape. Mais alors que Serge Brammertz détaillait le modus operandi, le profil du kamikaze et donnait une kyrielle de précisions techniques et méthodiques, son successeur reste très laconique. Il ne nomme pas les quatre généraux, ni le jeune Palestinien Ahmed Abou Adass qui a revendiqué l'attentat dans un enregistrement vidéo. Et concernant le kamikaze, il se contente d'affirmer que les enquêteurs «utilisent des analyses ADN pour tenter d'identifier le kamikaze à l'origine de l'explosion». Bref, le futur procureur général impose son style personnel. Un style probe, concis, que l'on percevait déjà dans sa propre définition du rôle de procureur général relayé sur le site des informations de l'Onu: «Il n'est pas facile d'être procureur. C'est souvent une expérience solitaire qui forge le caractère, qui nécessite force intérieure et confiance en soi. Cela requiert une intégrité personnelle et une éthique inébranlables, de l'humilité et de la volonté, de reconnaître les erreurs et de prendre les mesures nécessaires pour les corriger. Les procureurs généraux doivent avoir de la passion pour leurs dossiers, mais de la compassion dans leur approche. Ils doivent toujours êtres guidés par l'équité et le bon sens.»
Des obstacles au procès
Selon le quotidien britannique The Guardian, le futur procès des meurtriers de Rafic Hariri envenimera les tensions au Moyen-Orient. Le Guardian cite un officiel syrien déclarant que la Syrie est préoccupée par la politisation du tribunal Hariri. Et le jour où Daniel Bellemare rendra publiques les inculpations, les tensions seront à leur paroxysme. Autre problème relevé par le Guardian: le risque que le scénario de Lockerbie se répète. La Libye avait refusé d'extrader deux de ses ressortissants, soupçonnés d'être impliqués dans l'attentat de 1988 contre un Boeing 747 de la compagnie américaine Pan Am, qui assurait la liaison Londres-New York. C'est seulement après 10 ans d'une politique de sanction de l'Onu à l'égard de son pays que Mouammar Kadhafi s'était résigné à les livrer à la justice. Et Bachar el-Assad l'avait clairement fait comprendre en 2007: il ne livrera aucun citoyen syrien au tribunal Hariri. «C'est très difficile de prédire ce qui se passera», a déclaré un responsable onusien au Guardian. «Tout dépend de qui est inculpé et à quel niveau. Peut-être que les Syriens attendent la première inculpation ou un nouveau président américain. Ils essaient d'arrêter le tribunal, mais ils se méprennent. Je ne suis pas sûr qu'ils l'aient totalement intériorisé mais ils ont perdu».
Où en est le tribunal?
La veille de la remise du rapport d'enquête, le 27 mars, le Conseil de sécurité de l'Onu a publié un communiqué notant «les progrès considérables réalisés pour la création du Tribunal spécial pour le Liban». L'accord concernant le siège du tribunal a été signé, le 21 décembre 2007, entre les Nations unies et les Pays-Bas. Les locaux sont fournis gracieusement pendant un an par le gouvernement néerlandais. Un bâtiment d'Etat est en cours de réaménagement dans la banlieue de La Haye.Le procureur (Daniel Bellemare) et le greffier ont été nommés. C'est un Britannique Robin Vincent qui occupera ce poste de greffier. Selon les informations de l'Onu, de 2002 à 2005, Robin Vincent a exercé les fonctions de greffier pour le Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Puis, il a assuré l'intérim au poste de greffier adjoint du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et a été consultant pour la mise en place d'autres tribunaux internationaux, notamment les Chambres extraordinaires des juridictions du Cambodge et le Tribunal spécial pour le Liban. Les 11 juges ont été désignés. Mais leur identité reste confidentielle pour des raisons de sécurité. Le tribunal a trois juges, un Libanais et deux étrangers. Une cour d'appel est également prévue, composée de cinq juges, deux Libanais et trois étrangers. Nicolas Michel a précisé que «leur identité sera connue au moment de leur première rencontre, qui doit avoir lieu avant la mise en opération du tribunal, pour, entre autres, choisir les présidents des chambres de première instance et d'appel». Un comité de gestion a été créé le 13 février dernier, sur la base de l'expérience du Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Ses membres sont le Liban, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Lors d'une conférence de presse au siège de l'Onu, à New York, Nicolas Michel, le conseiller juridique de l'Onu, a précisé que les Nations unies avaient recueilli 34,4 millions de dollars ainsi que des contributions à hauteur de 25,9 millions de dollars, ce qui porte le montant total du financement à 60,3 millions de dollars. Il a ajouté que chaque Etat membre du comité de gestion a apporté une contribution d'au moins un million de dollars. Cette somme permettra de financer le coût de la première année d'opération du tribunal.Le tribunal entamera ses travaux, une fois le feu vert donné par le secrétaire général, Ban Ki-Moon, en fonction évidemment des progrès de l'enquête. Une chose est sûre, le procès ne commencera qu'une fois l'investigation close. Pour les diplomates onusiens, la machine est en marche. «Le processus de mise sur pied du tribunal est irréversible (...). Tout le monde doit comprendre que l'établissement du tribunal renforcera la lutte contre l'impunité et pour le rétablissement de l'Etat de droit et de la justice au Liban», aux dires de Jean-Maurice Ripert, l'ambassadeur français à l'Onu.
PRESS REVIEW
L'Hebdo Magazine - Daniel Bellemare sur les traces de Serge BrammertzUn «réseau criminel» a assassiné Hariri, 22 février 2008
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Background - خلفية
On 13 December 2005 the Government of the Lebanese Republic requested the UN to establish a tribunal of an international character to try all those who are alleged responsible for the attack of 14 february 2005 that killed the former Lebanese Prime Minister Rafiq Hariri and 22 others. The United Nations and the Lebanese Republic consequently negotiated an agreement on the establishment of the Special Tribunal for Lebanon.
Chronology - Chronologie
Détenus - Detainees - المعتقلون
International Criminal Justice
Videos - فيديو
- Now Lebanon : Crowds Gather to Show Support for International Tribunal, August 4, 2010
- IRIS Institute:La creation du TSL est-elle justifiee? - June 18, 2009
- Al Manar : Interview with Ali Hajj right after his release - April 30, 2009
- Al Manar: Summary of Jamil Al Sayyed's press conference, April 30, 2009
- AFP, Freed Lebanese prisoner speaks out - April 30, 2009
- OTV : exclusive interview with Jamil Sayyed - April 30, 2009
- Al Jazeeera English : Crowds celebrate Hariri suspects'release - April 29, 2009
- OTV : report about Ali el Hajj - March 18, 2009
Liens - Links - مواقع ذات صلة
The Washington Institute for Near East Policy, David Schenker , March 30, 2010 . Beirut Spring: The Hariri Tribunal Goes Hunting for Hizballah
Frederic Megret, McGill University, 2008. A special tribunal for Lebanon: the UN Security Council and the emancipation of International Criminal Justice
International Center for Transitional Justice Handbook on the Special Tribunal for Lebanon, April 10, 2008
United Nations
Conférence de presse de Nicolas Michel, 19 Sept 2007
Conférence de presse de Nicolas Michel, 27 Mars 2008
Département d'Etat américain
* 2009 Human Rights report
* 2008 Human Rights report
* 2007 Human Rights report
* 2006 Human Rights report
* 2005 Human Rights report
ICG - International Crisis Group
The Hariri Tribunal: Separate the Political and the Judicial, 19 July, 2007. [Fr]
HCSS - Hague Centre for strategic studies
Hariri, Homicide and the Hague
Human Rights Watch
* Hariri Tribunal can restore faith in law, 11 may 2006
* Letter to Secretary-General Kofi Annan, april 27, 2006
Amnesty International
* STL insufficient without wider action to combat impunity
* Liban : le Tribunal de tous les dangers, mai 2007
* Jeu de mecano
Courrier de l'ACAT - Wadih Al Asmar
Le Tribunal spécial pour le Liban : entre espoir et inquiétude
Georges Corm
La justice penale internationale pour le Liban : bienfait ou malediction?
Nadim Shedadi and Elizabeth Wilmshurt, Chatham House
The Special Tribunal for Lebanon : the UN on Trial?, July 2007
Issam Michael Saliba, Law Library of Congress
International Tribunals, National Crimes and the Hariri Assassination : a novel development in International Criminal Law, June 2007
Mona Yacoubian, Council on Foreign Relations
Linkages between Special UN Tribunal, Lebanon, and Syria, June 1, 2007
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